Le grand orgue du Sacré-Coeur est unanimement considéré comme l’un des plus remarquables en France et dans le monde. Construit en 1898, c’est le dernier grand instrument de l’illustre Aristide Cavaillé-Coll.
Une histoire étonnante
A l’origine, c’est un particulier fortuné, le baron Albert de l’Espée (1852-1918), qui le commande comme orgue de salon monumental pour en jouer, lui-même, au sein de sa villa située sur les hauteurs de Biarritz, à Ilbarritz. Il désire alors ce qui se fait de mieux et il pense l’architecture même de son immense villa telle un écrin à cet orgue, pièce centrale de sa villa de bord de mer. L’orgue est installé à Ilbarritz fin 1898. Après quelques déboires amoureux, le baron de l’Espée décide de vendre son domaine et de se séparer de l’orgue. Il le revend alors à Charles Mutin, le successeur de Cavaillé-Coll. L’instrument est enlevé pièce par pièce par les ouvriers de l’entreprise de Cavaillé-Coll et remonté dans les ateliers de Charles Mutin, avenue du Maine à Paris. Destiné alors à servir de vitrine du savoir-faire de la manufacture, l’orgue est aussi utilisé pour y donner quelques cours privés.
Le transfert au sacre-Coeur
La basilique avait été dotée en 1892 d’un orgue provisoire de 17 jeux, livré par Aristide Cavaillé-Coll. Manifestement trop réduit, l’instrument fut transféré en 1913 à l’église Notre-Dame du Rosaire à Paris et le Comité du Vœu national entra en pourparlers avec Charles Mutin pour l’achat de l’orgue de la salle de montage de la manufacture, ayant appartenu au baron de l’Espée. L’instrument est inauguré le jeudi 16 octobre 1919, au cours de la consécration de la basilique : Charles-Marie Widor joua l’Andante de sa Symphonie gothique et improvisa durant la messe solennelle, Marcel Dupré joua le Salvum fac populum tuum pour trompettes, chœur et orgue de Widor et improvisa durant la messe du soir, et l’organiste titulaire Abel Decaux joua des pièces de Franck, Widor et Vierne.
Un instrument exceptionnel
L’instrument est riche de quatre claviers, un pédalier, soixante-dix-huit jeux, et a conservé la traction mécanique qui était la sienne à l’origine. Ses imposantes proportions, la rare qualité de sa facture, la beauté unique de sa sonorité ont d’ailleurs été officiellement reconnues par l’Etat français qui, soucieux de le préserver, l’a classé Monument historique en 1981.
LA RESTAURATION
L’orgue a bénéficié de plusieurs campagnes de relevage et de restauration : dans les années 1930, en 1960 et en 1985. Il nécessite à présent de grands travaux de relevage (révision) et de restauration, prévus en 2024.
Les organistes titulaires
Les trois organistes titulaires du grand orgue du Sacré-Coeur rencontrent des visiteurs et des artistes du monde entier qui s’émerveillent de la conception et de la sonorité de cet instrument, patrimoine inestimable. Découvrez leurs parcours et témoignages.
Qui sont nos organistes ?
Après des études classiques au Conservatoire National Supérieur de Musique et de Danse (CNSMD) de Paris récompensées par les Prix d’Harmonie, Contrepoint, Fugue, Orgue et Improvisation à l’orgue, Philippe Brandeis remporte le Grand Prix d’Orgue et d’Improvisation du concours européen de Beauvais puis devient finaliste du célèbre concours international d’orgue de Chartres.
Après avoir occupé le poste d’organiste de chœur à l’église de la Madeleine à Paris, il est nommé sur concours titulaire du Grand Orgue du Sacré-Coeur de Montmartre.
Philippe Brandeis enseigne l’orgue et est apte à diriger des établissements d’enseignement artistique. Il fut pendant de nombreuses années directeur des études musicales et de la recherche au CNSMD de Paris et est aujourd’hui professeur d’orgue au Conservatoire à Rayonnement Régional de Cergy-Pontoise.
Parallèlement, il mène une intense activité de concertiste et se produit aussi bien en France qu’à l’étranger, notamment en Angleterre, Allemagne, Espagne, Russie, Hollande, Lettonie, Italie, République Tchèque, etc.
Il fut également invité à jouer dans les rangs de l’Orchestre de Paris, en particulier sous la direction de Pierre Boulez, Christoph von Dohnanyi, Christoph Eschenbach, Paavo Järvi, Daniel Harding, Klaus Mäkelä. Il joua la partie d’orgue du Requiem de Fauré lors de l’inauguration de la grande salle de la Philharmonie de Paris.
Philippe Brandeis a enregistré plusieurs disques, sur l’orgue du Grand-Bornand (Haute-Savoie) et au grand orgue des Invalides à Paris. Chacun ayant été salué par la presse spécialisée en Europe et outre-Atlantique.
Nommé titulaire de la basilique du Sacré-Cœur au terme d’un concours en 1994, Gabriel Marghieri est aussi titulaire de la basilique Saint-Bonaventure à Lyon. Il est professeur d’improvisation et d’analyse au Conservatoire National Supérieur Musique et Danse (CNSMD) de Lyon.
Il étudie auprès d’Henri Carol, René Saorgin, Marie-Claire Alain, Michel Chapuis, Loïc Mallié, entre autres dans les conservatoires supérieurs de Paris et Lyon.
Il a remporté les Grands Prix internationaux de Bordeaux et Saint-Albans (Angleterre) pour l’orgue, Chartres pour l’improvisation, Finhaut (Suisse) pour la composition.
Il a donné et donne, des récitals, des cours, des ciné-concerts improvisés dans toute l’Europe, en Russie, au Canada, au Mexique et au Japon.
Il est également l’auteur de nombreuses œuvres pour orgue, piano, chœurs et diverses formations.
Gabriel Marghieri écrit de nombreux textes à visée littéraire ayant librement trait à la musique et à ses rapports avec les arts ou la vie en général.
Un ouvrage, Gravir la colline, réunit quelques-uns de ces textes (Editions La pensée vagabonde).
Organiste titulaire adjoint de la basilique du Sacré-Coeur de Montmartre depuis 2013, est également titulaire des grandes orgues de la basilique Notre Dame des Victoires depuis 2003.
Heureux d’exercer sur deux instruments d’esthétique très différentes, dans ces deux hauts lieux spirituels, il enseigne aux conservatoires Francis Poulenc et Gustave Charpentier à Paris (la formation musicale, l’harmonie au clavier, le déchiffrage et l’improvisation).
Après des premiers prix de piano, d’accompagnement et d’orgue à la ville de Paris, il poursuit ses études d’orgue avec Odile Bailleux (interprétation) et Pierre Pincemaille (improvisation). Il obtient dans leurs classes deux premiers prix. Il est également diplômé de l’université de la Sorbonne (maîtrise de musicologie, licences de musicologie et de philosophie).
Aux conservatoires nationaux supérieurs de Paris et Lyon, prix d’harmonie, contrepoint, polyphonie Renaissance, fugue et formes (DFS mention très bien, prix Marcel Dautremer) et improvisation (CECS mention très bien), travaillant cette dernière spécialitéauprès de Loïc Mallié et Gabriel Marghieri.
Parmi ses activités seul, en musique de chambre (duos orgue clarinette, orgue et violon) ou avec chœur, en France et à l’étranger : participation à l’émission À l’improviste sur France Musique; composition de musiques de scène pour la troupe Démodocos pour son spectacle l’Iliade, dans le grand amphithéâtre de la Sorbonne; illustration improvisée à l’orgue de la lecture par François Claudel, petit-fils de l’auteur, du Chemin de la croix de Paul Claudel.
JOUER ICI, au sacré-COEUr
Gabriel MARGHIERI : « Travailler dans un lieu aussi singulier que la basilique du Sacré-Cœur est une chance et un privilège qui auront fortement marqué mon existence. Malgré mes nombreuses années de titulariat, malgré les innombrables cérémonies jouées, le charme ne s’estompe pas : venir à Montmartre, ce village un peu hors du temps, hors du monde – malgré les touristes – entrer dans la basilique, cet édifice immense mais intime et protecteur, ce cocon qui favorise le rêve et la méditation… monter à la tribune, c’est à dire prendre de la hauteur, au sens concret et symbolique à la fois. Enfin faire sonner un instrument ample et puissant mais aussi parmi les plus poétiques, moelleux et mystérieux qui soient ! (car il est tout aussi exaltant de déchaîner le fortissimo de l’orgue pour la foule des grandes fêtes ou de n’importe quel dimanche matin, que d’adapter son jeu au recueillement des messes nocturnes.) »
Au service de la liturgie
A la basilique, le grand orgue est fréquemment en activité, au minimum au cours de neuf offices hebdomadaires, quelquefois bien davantage ! Principalement joué par ses trois organistes titulaires, dans un édifice extrêmement fréquenté, haut lieu de tourisme et de pèlerinage. Ils témoignent ici de leur expérience de jeu sur un tel instrument, toujours ici au service de la liturgie.
Au service de la liturgie
Luc Stellakis Si la liturgie fait se succéder périodes d’attente, de supplication et de joie paisible ou éclatante, et qu’il s’efforce de le manifester par sa musique, Luc Stellakis est sensible à ce charme particulier à la basilique du Sacré-Cœur :
« Tantôt jouer pour transcender l’énergie du brouhaha de la foule des visiteurs, tantôt pour faire émerger les sons du sublime Cavaillé-Coll dans le silence des messes de 22h. »
Gabriel Marghieri « La responsabilité de l’organiste liturgique est lourde : tenter de donner aux hommes une « image » de Dieu, faire monter vers Dieu la prière des hommes. Et concilier exigence artistique et esprit de service. »
Pour aller plus loin :
Christophe Luraschi, Albert de l’Espée. Editions Atlantica, Biarritz, 1998.